Dans le cadre de leur transformation agile, certaines entreprises ont tendance à rechercher la “silver bullet” à tous les problèmes en appliquant un framework d’agilité à l’échelle “by the book” (SAFe par exemple, pour ne pas le citer). Cet article vise à argumenter les risques liés à cette approche et à aborder d’autres manières de faire et de penser.
Tout d’abord, l’objectif n’est pas de critiquer SAFe ou un autre framework. Ils intègrent des patterns organisationnels connus et reconnus de longue date et les agrègent en un tout qui peut être cohérent pour certaines entreprises.
Cependant, une transformation est un processus long terme qui vise à modifier les mécanismes de fonctionnement internes à l’entreprise. On pourrait même dire qu’une transformation agile n’a pas de fin, car l’entreprise entière se met en capacité de se réorganiser, de se transformer au fil de l’eau en fonction des feedbacks de l’environnement externe (contexte économique, concurrence, nouveaux usages, nouveaux clients, …) et de l’environnement interne (culture en évolution, application de nouvelles technologies, croissance des employés, …).
Or, lorsque l’on déploie SAFe, la destination est connue, voire même figée. Et le déploiement est effectué sans se poser les questions qui aident à ancrer les nouvelles pratiques et manières de penser. Le risque est donc de faire du “cargo cult” : appliquer de nouvelles manières de faire sans savoir pourquoi ni comment ça marche, en espérant avoir les bons résultats. Les conséquences directes sont :
- De persister dans la même direction alors que ça ne marche pas, et en cas de problème, de revenir aux anciennes manières de faire, plus rassurantes et maitrisées mais pas adaptées
- De ne pas comprendre pourquoi de nouvelles pratiques / nouveaux rôles sont déployés. Si on les applique sans les comprendre, il est très difficile de les adapter au contexte présent. Ils ne marchent pas comme espéré, et une pression plus forte est mise sur les équipes pour qu’elles performent dans des conditions encore pires qu’avant
- De conserver le même état d’esprit qu’avant et de simplement mettre un coup de peinture sur le bateau rouillé. J’ai rencontré par exemple beaucoup d’entreprises renommer le chef de projet en product owner ou product manager et estimer que leurs équipes était maintenant agiles – 2 jours de formation POPM et fin de l’histoire, transformation terminée
Quelles sont alors les questions qu’il peut être utile de se poser au début de la transformation, puis de manière régulière afin de se mettre en position de pivoter ou persévérer ?
- “Pourquoi sommes-nous en mouvement ? Qu’est-ce qui nous motive à changer ?” On parle ici des messages que nous envoient les environnements interne et externe
- Exemples : notre capacité à réagir face au marché, l’émergence d’un nouveau concurrent, des démissions groupées, …
- Pour factualiser le besoin d’évolution, quelques métriques bien placées peuvent aider. Par exemple, le Time To Market, le pourcentage de parts de marché, le turn-over, …
- “Pour quoi (en deux mots) changeons-nous nos pratiques ?” A chaque fois que l’on met en place ou modifie une pratique, “que veut-on obtenir de différent ?” Puis, plus tard, “est-ce que ça marche ?” On se met alors en position de revoir notre stratégie de transformation : si ce que l’on fait ne marche pas ou pas autant que souhaité, autant essayer autre chose : peut-être que nos hypothèses de départ n’étaient pas les bonnes
- Quels sont les goulots d’étranglement évidents, les dépendances et hand overs qui nous ralentissent ? Parce que l’on parle bien de flux de livraison de valeur, autant faire en sorte que le flux ne rencontre pas trop d’obstacles sinon le fleuve va vite se transformer en ruisseau …
On voit donc que les transformations à grande échelle ne peuvent pas se faire en big bang. L’entreprise a besoin d’introspection pour identifier ce qui doit être amélioré, de prioriser stratégiquement les initiatives d’amélioration basées sur du test and learn. SAFe peut bien être une source d’inspiration, un modèle, mais à condition d’y aller petit à petit, en se gardant le droit de changer la cible en cours de route, et en ancrant au fur et à mesure les apprentissages. Cela participe grandement au changement d’état d’esprit nécessaire à ce type de transformation.